Quel bilan pour l’encadrement des loyers à Paris ?

Rarement mesure a-t-elle été autant discutée et bousculée que l’encadrement des loyers, prévue par la loi Alur de Cécile Duflot. Cette réglementation au profit des locataires dans des villes où les montants des loyers s’avèrent particulièrement élevés est entrée en vigueur, à Paris, au 1er août 2015, après plusieurs mois de cacophonie. Sept mois plus tard, quel bilan peut-on tirer de cette mesure ? L’encadrement des loyers, est-ce une idée qui fonctionne réellement ou seulement une réglementation cosmétique sans conséquences ?

Encadrement des loyers : principes

Les principes édictés par la loi Alur, promulguée le 24 mars 2014, ont pour objet de remédier aux difficultés grandissantes des Français vis-à-vis de l’accès à la location. Ces difficultés sont une conjugaison de trois causes : l’augmentation excessive des loyers dans certaines villes ; la baisse du pouvoir d’achat des ménages ; et la pénurie de logements disponibles.

Philosophie de la loi Alur

La colonne vertébrale de la loi Alur consistait donc à réglementer la hausse des loyers dans les zones dites « tendues » (pour exemple, la hausse était de + 42 % en dix ans sur Paris). 28 agglomérations de plus de 50 000 habitants sont concernées, agglomérations où les montants des loyers atteignent des sommets qui ont pour conséquence de freiner l’accès à la location pour un grand nombre de ménages. Paris étant bien sûr l’exemple canonique de ce décalage irréaliste entre montants des loyers et moyens financiers des locataires.

Les conditions de mise en œuvre de ce système d’encadrement des loyers ont été déterminées par le décret n°2015-650 du juin 2015. Ce décret s’est accompagné de la publication d’un arrêté fixant les montants des loyers applicables dans les villes concernées, eux-mêmes calculés par des Observatoires locaux ad hoc, et seulement pour des logements (vides ou meublés) du parc privé. Le champ d’application est prévu pour durer du 1er août 2015 au 31 juillet 2016.

Dans le détail de la mesure

Dans les faits, cette mesure doit agir au moment de la remise en location d’un bien, soit en fin de bail, afin de limiter la hausse du loyer. En principe, c’est le bailleur qui fixe librement le montant du loyer, en fonction du marché, lors de la signature du bail ou de son renouvellement ; mais avec la loi Alur, la hausse du loyer est limitée à l’évolution de l’indice de référence des loyers (IRL) sauf si :

  • Le loyer précédent a été manifestement sous-évalué
  • Le logement a fait l’objet de certains travaux depuis le départ du locataire

Et, dans le cas d’une réévaluation du loyer, celle-ci ne peut dépasser certaines limites déterminées par le décret d’application.

Une mesure autant appréciée que contestée

Largement approuvé par le public (8 Français sur 10 y étaient favorables en juin 2015 selon un sondage BVA rapporté ici), l’encadrement des loyers a soulevé la colère des professionnels de l’immobilier.

Fnaim, Union des syndicats de l’immobilier, Chambre nationale des propriétaires, Plurience ont tous ensemble exprimé leur mécontentement, jusqu’à déposer des recours devant le tribunal administratif. Mais, concrètement, quelles sont les premières conséquences de cette mesure ? Les professionnels de l’immobilier avaient-ils raison de crier au loup ?

Premier bilan de l’encadrement des loyers à Paris

Six mois d’expérimentation, c’est encore peu pour en tirer des conclusions définitives. Mais c’est suffisant pour percevoir des tendances. Entré en vigueur le 1er août 2015, le plafonnement des loyers n’a pas eu d’effets majeurs et s’est largement vu contourné par des propriétaires qui ont profité de critères de dérogation encore flous.

Un bilan qui varie selon les observateurs

Les résultats varient en fonction des études et des observateurs. Pour certains, si effet il y a eu, il a été rapide mais ponctuel. Selon cet article, la comparaison entre les loyers avant et après la mise en application de la loi a été à la faveur de celle-ci : en juillet, 46 % des biens sur le marché coûtaient plus chers à la location que le loyer de référence majoré (ce loyer de référence annuel est fixé par la préfecture et peut être majoré de 20 % par les propriétaires). Fin août, ce pourcentage était tombé à 29 %, soit une belle réduction. Or, le problème, c’est que depuis lors, ce taux est resté stable.

Pour d’autres, comme pour l’association de défense des consommateurs CLCV, ce sont toujours 42 % des loyers qui sont hors-la-loi : ils excéderaient le montant maximum autorisé de 145 € par mois, une coquette somme. Du point de vue de l’association, la faute en échoit à l’Observatoire des loyers de l’agglomération parisienne, qui aurait surestimé les loyers de référence dans certaines zones de la capitale, par exemple à Montmartre ou autour du Jardin des plantes.

Pour autant, tous les observateurs sont d’accord sur un point : les critères qui autorisent les propriétaires à déroger au plafond légal sont suffisamment flous pour permettre à nombre de propriétaires de s’engouffrer dans la brèche. En outre, bien que la loi Alur donne l’assurance au locataire d’obtenir gain de cause au tribunal en cas de dépôt de plainte pour loyer illégal auprès de la commission de conciliation, aucun dossier n’a été reçu. Il faut se mettre à la place du locataire confronté à un propriétaire dans l’illégalité, et qui craint des représailles : bail non renouvelé, caution conservée en fin de contrat, travaux retardés, etc.

Le complément de loyer et ses contradictions

Parmi les critères flous dont les propriétaires ont profité, il y a le complément de loyer – une mesure qui prend en compte l’hétérogénéité du patrimoine immobilier parisien. L’encadrement des loyers prévoit en effet la possibilité de dépasser le loyer de référence majoré en demandant un complément de loyer pour cause de « caractéristiques exceptionnelles » touchant au bien, dès lors que ces caractéristiques ne sont pas déjà payées par le locataire sous forme de charges. Ainsi, une belle vue ou une maison (rare dans Paris) peuvent justifier d’une demande de complément de loyer, mais pas un ascenseur dans un immeuble ancien, dont l’entretien est compris dans les charges.

En novembre 2015, cet article faisait ainsi état des chiffres suivants : 7 % des 1 900 logements qui ont été reloués depuis la mise en application de la loi l’ont été à un loyer dépassant le plafond d’encadrement en faisant jouer le complément de loyer (sans pour autant compenser l’écart institué par le plafonnement).

Toutefois, la loi a prévu un garde-fou : le locataire auquel le propriétaire a demandé un complément de loyer peut contester celui-ci dans les 3 mois après la signature du bail. Le problème étant que, dans les faits, on peut tout à fait imaginer un locataire qui accepterait ce coût supplémentaire, et qui, une fois le bail signé, le contesterait immédiatement devant la commission de conciliation et/ou devant le tribunal d’instance. Dans la mesure où la réalité du complément de loyer n’est pas quantifiée (aucune proportion du loyer de référence n’a été définie), la notion de « caractéristiques exceptionnelles » est donc tout à fait subjective. Et il se pourrait bien que le tribunal d’instance ne soit pas en accord avec le propriétaire.

Faut-il s’attendre à des effets négatifs sur le logement ?

Dans une certaine mesure : oui. Puisque ces effets se font déjà sentir dans les 6 premiers mois : 1 % de retraits supplémentaires de biens ont été constatés en 3 mois, des retraits qui signifient que les propriétaires ont renoncé à louer et ont mis en vente leurs biens.

Si l’on ne peut pas parler de conséquences financières catastrophiques pour les propriétaires, il est vrai néanmoins que l’encadrement des loyers produit sur ces derniers un effet psychologique néfaste. Le fait est que la loi néglige (volontairement ou non) un paramètre essentiel : certes, les loyers à Paris sont trop élevés comparés au pouvoir d’achat des ménages, mais ils sont en concordance avec les coûts des biens à la base. Pendant que les loyers sont revus à la baisse, les mensualités de remboursement du prêt restent identiques, les charges de copropriété augmentent, les obligations réglementaires s’alourdissent et la taxe foncière continue de flamber.

Nombre de bailleurs sont de petits propriétaires qui s’appuient sur les loyers versés pour rembourser leur crédit immobilier. Si le plafonnement des loyers n’a pas remis en cause leur capacité de remboursement, elle peut avoir un impact sur les frais annexes, de sorte que certains propriétaires peuvent se montrer réticents à effectuer les menus travaux nécessaires. À long terme, il existe un vrai risque de dégradation de certains biens.

Une mesure comme l’encadrement des loyers, pour avoir des effets positifs à la fois sur les locataires et sur les bailleurs, doit s’accompagner d’une vraie politique fiscale au niveau local et national. Par exemple en permettant aux propriétaires lésés, dont les loyers ont baissé, d’obtenir une exonération de taxe foncière.

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