C’est dans un quasi-silence que la transposition, en droit français, d’une directive européenne adoptée en février 2014, s’apprête à chambouler l’octroi des prêts immobiliers dans les pays membres. L’une des mesures de la Mortgage Credit Directive stipule en effet que les banques devront bientôt faire évaluer le prix des habitations concernées par le crédit par le biais d’un expert indépendant et qualifié. Une mesure qui s’appliquera chez nous à compter du 1er juillet 2016. Quand l’Europe s’empare de la question du crédit immobilier La Directive européenne sur le crédit immobilier (à consulter dans son entièreté ici), ou Mortgage Credit Directive (MCD), ambitionne de rationaliser le marché du crédit immobilier dans l’ensemble des pays européens. L’objectif est de construire un marché intérieur du crédit hypothécaire plus sûr, mieux contrôlé et donc, in fine, plus efficace, en sécurisant la viabilité des prêts accordés par les banques et en permettant aux consommateurs d’être mieux informés. Pour ce faire, la MCD vise à encadrer les trois acteurs du marché immobilier : Les emprunteurs Les prêteurs Les intermédiaires L’existence de la MCD découle directement de la crise américaine des subprimes de 2008, et plus particulièrement de ses causes. Pour rappel, la fragilité des emprunts immobiliers consentis par les organismes prêteurs aux États-Unis pendant des années a contribué au développement d’une « bulle » qui, en explosant, a fait tanguer Wall Street et entrainé le monde dans une vaste récession. La Commission européenne souhaite ainsi imposer aux prêteurs et aux emprunteurs des pays membres qu’ils s’assurent de la fiabilité des crédits, afin d’éviter la formation d’une telle « bulle ». Cette directive a été adoptée le 4 février 2014, et les pays membres avaient jusqu’au 21 mars 2016 pour la transposer dans leur droit national. Pour les y aider, l’Autorité Bancaire Européenne (ABE) avait diffusé en juin 2015 un document encadrant cette mise en place de la façon suivante : Lutter contre les comportements irresponsables des prêteurs et des emprunteurs ; Appliquer de nouvelles méthodes d’évaluation de la solvabilité ; Développer des actions pour contrevenir aux conséquences de défaillances dans les remboursements ; Encadrer les activités des intermédiaires en opération de banque et service de paiement (IOBSP), notamment en rendant obligatoire une validation de leur formation professionnelle ; Instaurer le « besoin de qualification » (avec mise en place de formations minimales à partir de janvier 2017) pour les évaluateurs immobiliers, les distributeurs de crédit consommateur, les intermédiaires et les personnels des banques. C’est chose faite pour la France, qui fera appliquer la Directive européenne sur le crédit immobilier à compter du 1er juillet sur son territoire. Les banques, le crédit immobilier et les experts La MCD devrait donc chambouler l’approche de l’octroi du crédit dans le but de favoriser une relation de confiance entre les emprunteurs et les banquiers, et ainsi réduire le risque d’un côté comme de l’autre lors d’un achat immobilier. Voici ce qui va changer concrètement. La banque et l’évaluation immobilière Jusqu’ici, les pratiques d’évaluation immobilière se caractérisent par leur hétérogénéité : en substance, les banques font ce qu’elles veulent en la matière, indépendamment du devoir de conseil qui leur incombent en regard de leurs clients. Pour apprécier la valeur du bien et décider ainsi du déblocage d’un crédit immobilier, les banques ont le choix : Le faire évaluer en interne Solliciter le concours d’un agent immobilier local Avec l’application de la directive, les banques auront l’obligation de mesurer leur risque de financement en déterminant la valeur hypothécaire du bien et en calculant le ratio « Loan to Value » (rapport entre l’endettement et la valeur du bien sur le marché). Pour cela, elles devront passer par des experts indépendants chargés de s’assurer que le prix affiché est bien le prix visé pour garantir l’emprunt. Les qualifications de l’expert en évaluation immobilière L’expert chargé de l’évaluation immobilière pour le compte des banques devra être indépendant et dûment qualifié. Or, en l’état, cette activité est peu réglementée, car non reconnue officiellement par le Conseil d’État. L’autre nécessité du décret transposant la MCD en droit français consiste donc à professionnaliser le métier d’expert, de telle sorte que celui-ci aura obligation de : Justifier de 20 heures de formation annuelles ; S’appuyer sur des normes internationales ; Être affilié à une organisation professionnelle signataire de la Charte de l’expertise en évaluation immobilière ; S’engager à respecter la Charte en question. Si le marché de l’évaluation immobilière est déjà très concurrentiel en France, il y a toutefois un segment qui reste peu représenté : celui qui se situe entre les grosses structures (dont les experts s’adressent avant tout aux entreprises de grande taille, comme celles du CAC 40) et les indépendants. Des réseaux d’experts indépendants pourraient ainsi se former pour répondre à la future demande des banques. Moins de risques, plus d’informations En professionnalisant le métier d’expert en évaluation immobilière et en contraignant les banques à faire appel au service dudit expert avant l’octroi d’un crédit immobilier, l’intérêt de cette directive européenne est double : Réduire au maximum le risque de l’établissement prêteur (surtout en cette période où les taux d’emprunt sont historiquement bas) ; Permettre au consommateur d’obtenir une information plus précise et plus transparente, relativement au prix du bien et à la valeur du prêt. Les banques estiment toutefois que cette nouvelle réglementation, qui vient s’ajouter à une longue liste, menace d’alourdir le processus d’octroi des crédits. Vers un marché européenne du courtage de crédits ? La MCD aura une autre conséquence sur le crédit et les rapports entre prêteurs et emprunteurs : par la création d’un statut européen d’intermédiaire en crédit immobilier, la directive favorise la mise en place d’un marché intracommunautaire en courtage de crédits. Avec l’harmonisation des réglementations, les intermédiaires vont pouvoir travailler dans d’autres pays que les leurs, et tâcher de développer des marchés dans des territoires où le courtage est traditionnellement peu couru, comme en Allemagne. Ce sont encore d’autres perspectives qui s’ouvrent grâce à ce texte, par exemple la possibilité, pour des courtiers français, de s’adresser à des banques étrangères dans le but de financer des projets immobiliers dans l’Hexagone. Conclusion La Commission européenne cherche ainsi à créer la notion de « prêt responsable », indispensable dans le cadre d’une relation de confiance entre les différents acteurs du crédit immobilier. En sus de devoir évaluer la solvabilité de l’emprunteur, le prêteur aura également un devoir de mise en garde relativement au crédit immobilier lui-même.