Chaque année, avec la trêve hivernale (qui démarre au 1er novembre), resurgit le sujet épineux des expulsions et des mauvais payeurs. Or, face à ce problème délicat des locataires qui ne payent plus leur loyer, les propriétaires bailleurs se retrouvent trop souvent dans des situations catastrophiques : démarches complexes, procédures interminables, et aucune garantie de se voir rembourser le manque à gagner. Focus sur des problématiques dont on parle trop peu. Le mythe des grands méchants propriétaires Concernant les locataires mauvais payeurs et les propriétaires-bailleurs, la vision des choses proposée par les médias est souvent biaisée. Elle valide encore trop volontiers le « mythe des grands méchants propriétaires » dignes des personnages diaboliques dans les dessins animés Disney : de riches investisseurs qui n’ont que faire du bien-être de leurs occupants et ne pensent qu’à maintenir leur rente. Dans la réalité, le portrait du propriétaire-bailleur est bien différent. Une enquête menée en 2013 par le site pap.fr (rapportée dans cet article de Libération) estimait le nombre de propriétaires individuels en France à 2,8 millions, la moitié d’entre eux étant des « petits propriétaires », à savoir possédant un seul bien en location (30 %) ou maximum deux biens (25 %). Si un logement locatif sur sept provient d’une succession, on constate néanmoins que 80 % des propriétaires ont financé leur bien grâce à un crédit immobilier. Et seulement 10 % indiquent que les loyers versés constituent plus de 50 % de leurs ressources. On est donc loin de l’image d’une France de propriétaires rentiers. Il serait temps de casser ce mythe du méchant bailleur qui se moque bien de la situation de son locataire, et le remplacer par une vision plus réaliste : une partie non négligeable des propriétaires individuels a besoin de toucher les loyers pour rembourser un prêt immobilier dans les bonnes conditions. Les conflits entre bailleurs et locataires s’aggravent Mais comment y parvenir lorsque le locataire s’arrête brusquement de payer, et que les procédures d’expulsion sont si longues et complexes ? La question se pose d’autant plus que le nombre de conflits est en nette hausse. Une autre enquête pap.fr datée de 2015 (voir l’article dans Les Échos) fait le point sur les crispations des propriétaires-bailleurs. Et le sujet du locataire mauvais payeur y occupe une place dominante : 42,8 % des propriétaires interrogés reconnaissent avoir eu des litiges avec leur locataire – avec, en première ligne, le sujet des impayés de loyer. 40 % des litiges se règlent à l’amiable (en baisse de 10 % par rapport à la même enquête menée en 2012), et 45 % des situations de ce genre mènent à un recours au tribunal (en hausse de 28 % par rapport à 2012). L’impayé de loyer, une situation rare… mais catastrophique Ce que révèle l’étude de pap.fr, c’est que les situations graves d’impayés de loyer (un locataire qui s’arrête tout net de payer, sans chercher la conciliation) sont rares : 2 % des cas seulement. Mais quand elles se produisent, elles mènent à des situations cauchemardesques pour le propriétaire. De fait, 72 % des bailleurs interrogés demandent une plus grande souplesse dans les procédures d’expulsion. Pour trouver un locataire sérieux et bon payeur, les propriétaires sont donc amenés à exiger des garanties toujours plus élevées – revenus trois ou quatre fois supérieurs au montant du loyer, caution, assurances – qui ne protègent d’ailleurs pas toujours contre le risque. Entrons maintenant dans le détail : comment se déroule une procédure de recouvrement des loyers impayés et d’expulsion du locataire ? Les étapes à suivre pour régler un conflit entre bailleur et locataire Pour éviter que la procédure de recouvrement des créances et d’expulsion d’un locataire ne s’allonge démesurément, voici les réflexes à adopter. Le commandement de payer Première étape : dès que le locataire cesse de verser son loyer, faites-lui délivrer un commandement de payer visant la clause résolutoire du bail prévue en cas de défaut de paiement (loyer ou charges), par le biais d’un huissier. Au passage, vous devez signaler la situation à la Commission de coordination des actions et de prévention des expulsions locatives (CCAPEX), comme le stipule la loi ALUR, article 27. Si le commandement reste sans réponse, la clause de résiliation de plein droit s’applique – au bout de deux mois pour un logement loué vide, au bout d’un mois pour un logement loué meublé. Le locataire est alors déchu de son titre d’occupation. Attention : votre commandement de payer doit intégrer certains éléments obligatoires, comme la reproduction de la clause résolutoire prévue dans le bail de location, et l’indication au locataire de ses droits. Faute de préciser ces points, votre commandement de payer pourrait être considéré comme nul. L’assignation en référé du locataire Deuxième étape : faire constater la résiliation du bail par un juge d’instance, en assignant le locataire en référé au tribunal en charge. Deux mois avant l’audience, vous devez notifier cette assignation au préfet par courrier recommandé avec accusé de réception. Devant le juge, vous demanderez au passage à ce que le locataire soit condamné au paiement des loyers non versés, pour pouvoir récupérer le manque à gagner. L’audience devant le tribunal d’instance et ses petites contrariétés L’audience devant le tribunal d’instance peut nécessiter des délais plus ou moins longs en fonction de la charge de travail du tribunal (elle est en général plus élevée dans les zones denses, comme en région parisienne). Avec cette procédure et les nombreuses contrariétés qu’elle peut générer pour le bailleur, le temps risque de devenir très long. En effet, le locataire peut : Demander le renvoi de l’affaire (par exemple pour obtenir la désignation d’un avocat à l’aide juridictionnelle, ce que le juge ne saurait refuser) ; Se voir accorder par le juge de nouveaux délais de paiement de ses arriérés de loyers, jusqu’à trois ans, dès lors que le locataire est en mesure de payer ; dans ce cas, la résiliation du bail n’est pas constatée et un échéancier est mis en place. C’est seulement si cet échéancier n’est pas respecté – jusqu’à trois ans maximum, donc – que la procédure d’expulsion est possible. La procédure d’expulsion Nouvelle étape : la procédure d’expulsion elle-même. Une fois la décision de justice prononcée, ordonnant l’expulsion du locataire et sa condamnation à rembourser les loyers manquants, vous devez lui faire délivrer un commandement d’avoir à libérer les locaux, par voie d’huissier. Le préfet doit une nouvelle fois être notifié par lettre recommandée avec AR. Le délai avant échéance du commandement est de deux mois – le temps que le locataire organise son relogement, si l’expulsion concerne son habitation principale. Il est incompressible. Le locataire est en droit de réclamer des délais supplémentaires, sans parler du fait que la trêve hivernale (du 1er novembre au 31 mars) empêche toute expulsion. Toutefois, ces délais ne sont accordés qu’aux locataires considérés comme étant « de bonne foi » aux yeux de la justice. Une fois ce délai passé, si le locataire décide de se maintenir dans les lieux, il vous faut procéder à une demande de recours de la Force publique. Une procédure qui, à son tour, peut prendre des mois, en fonction de la bonne volonté des parties engagées – État, commissaire de police, autorité publique dans son entier. Quelles solutions contre le risque de mauvais payeurs ? En somme, pour un propriétaire-bailleur, le mieux est encore de se protéger au maximum contre les risques de tomber sur un mauvais payeur. La première solution, la plus évidente, consiste à formuler des exigences extrêmement sévères à l’égard des candidats à la location – c’est ce que font la plupart des bailleurs. Mais il faut savoir que ces protections ne sont pas toujours suffisantes, et que les locataires les moins dotés ne sont pas nécessairement les plus mauvais payeurs – au contraire, un locataire gagnant peu mais honnête fera tout ce qui est en son pouvoir pour payer son loyer ou rembourser ses arriérés. La seconde solution est plus sûre : contracter assurance dédiée, une GLI (Garantie des loyers impayés). L’assureur prend en charge les sommes non versées et se retourne de son propre chef contre le locataire. La garantie Visale fonctionne de la même manière, sauf que c’est l’État qui se charge de couvrir les risques – et que c’est le locataire lui-même qui doit demander cette garantie. Ce sont encore les meilleures solutions… en attendant, peut-être, la démocratisation des procédés de mesure de la fiabilité des futurs locataires, comme le proposent d’ores et déjà certaines applications !