Loi ELAN : Qu’en pensent les professionnels de l’immobilier ?

Julien Denormandie, le secrétaire d’Etat à la Cohésion des territoires, a présenté mercredi 4 avril, le projet de loi ELAN (Évolution du logement, de l’aménagement et du numérique). Du bail mobilité à l’encadrement des loyers en passant par la réforme du secteur HLM, toutes les mesures présentées en Conseil des Ministres, ont suscité une cascade de réactions de la part des professionnels de l’immobilier. Explications.

La Loi ELAN est loin de faire l’unanimité chez les professionnels de l’immobilier et les associations de consommateurs.

L’une des principales nouveautés de la Loi Elan est le bail mobilité. Destiné aux personnes en stage, en formation professionnelle, en contrat d’apprentissage, en mission temporaire dans le cadre de leurs activités professionnelles, il s’agit d’un nouveau contrat de location (en meublée) d’une durée de 1 à 10 mois non renouvelable qui vise à favoriser la mobilité.

Bail Mobilité : reconnaissance ou précarisation des locataires ?

Pour Maud Velter, Directrice associée de LODGIS « Le bail mobilité est la reconnaissance d’un changement de société. Nous constatons chez LODGIS une croissance de la mobilité tant des étudiants que des professionnels. Ce nouveau bail doit sécuriser les relations entre bailleur et locataire tout en restant équilibré, ce qui n'est pas le cas dans sa rédaction actuelle. L’absence de dépôt de garantie, la non-solidarité entre colocataires et l’impossibilité de renouvellement quel que soit la situation du locataire sont des freins pour la mise en place et le succès de ce nouveau bail. Cependant, si ces aménagements sont effectués, il est certain que l’attractivité pour la location meublée s’en trouvera renforcée. »

A l’inverse, pour Michel Fréchet, Président de la CGL « ce nouveau bail mobilité fragilisera les locataires. Il s’agit là, comme l’indique l’étude d’impact, de flexibiliser le marché locatif, mais au détriment du locataire. Un bail meublé existe déjà, pourquoi créer un autre dispositif plus contraignant et sans renouvellement ? Alors que le CDD est devenu la norme pour les contrats de travail, nous voici avec un bail lui aussi en CDD », ironise-t-il

Quant à Thibault Martin, CEO de Smartrenting, « Le bail mobilité reconnaît les courtes missions que sont amenés à accomplir les étudiants et les professionnels, cependant il ne résout en rien le problème de la résidence principale. Un étudiant occupe un logement en moyenne trois ans durant ses études. De plus en plus, les étudiants sont obligés d’accomplir des stages qui peuvent les mener loin de leur domicile. Une question reste en suspens : si tant est que le bail mobilité leur facilitera la location d’un bien lors d’un stage, que doivent-ils faire de leur résidence principale ? Payer un double loyer ou vivre dans une situation précaire avec des baux mobilités, c’est-à-dire changer de logement à chaque fin de bail… »

Bail mobilité trop restreint ?

« Suite à la présentation du projet de loi ELAN en Conseil des Ministres, deux axes m’interpellent tout particulièrement : le bail mobilité et la réforme du secteur HLM.

Le premier prend une nouvelle ampleur par rapport à sa première mouture, qu’Emmanuel Macron avait présentée lors de l’ORPI Lab de novembre 2016. Le bail mobilité intègre en effet désormais « une garantie gratuite de paiement des loyers et de remise en état du bien » via le dispositif Visale, et devient accessible « sans dépôt de garantie ». Cependant, il est circonscrit aux étudiants en stage ou encore aux personnes en formation professionnelle pendant quelques mois : c’est donc un premier pas vers l’assouplissement des conditions d’accès au logement pour certains publics mais nous avons besoin d’aller plus loin !

Le logement doit refléter les évolutions de la société et notamment du monde du travail. Or, aujourd’hui, il existe une grande pluralité de statuts professionnels pour lesquels il est difficile, voire impossible en zone très tendue, d’avoir accès à un logement et pour lesquels nous n’avons toujours pas de solution viable à proposer.

Le second point : la réforme du secteur HLM. Nous le revendiquons depuis longtemps chez ORPI : le logement social doit être une étape dans le parcours résidentiel de ses occupants, et leur permettre de rebondir vers une autre situation de logement.

La facilitation de la vente de logements HLM me paraît une réelle avancée dans ce sens, puisqu’elle permettra à des ménages d’accéder à la propriété, et dégagera des fonds pour construire. Par ailleurs, l’examen tous les 6 ans de la situation des locataires remettra en cause le « bail à vie » et apportera une fluidité nouvelle en réintégrant des personnes dans le parcours résidentiel privé.

Pour aller plus loin, le gouvernement pourrait faciliter encore la mise sur le marché de logements accessibles aux foyers modestes, en encourageant par des avantages fiscaux les propriétaires bailleurs qui le souhaitent à pratiquer des loyers très modérés. En complétant l’offre du parc public par une offre du parc privé plus large, nous pourrions apporter encore plus de solutions de logements adaptées à ces personnes défavorisées. » a réagi Christine Fumagalli, Présidente du réseau Orpi, suite à la présentation du projet de loi ELAN en Conseil des Ministres.

Retour de l’encadrement des loyers : une fausse solution à un vrai problème

Ambiguïté en ce qui concerne l’encadrement des loyers : la loi Elan ne l’interdit pas alors que le dispositif avait été annulé à Lille et à Paris en octobre et novembre 2017. Il est précisé dans l’article 48 qu’« une mise en œuvre du dispositif d'encadrement du niveau des loyers par arrêté préfectoral, sur les territoires compris dans les zones dans lesquelles la tension locative est la plus forte, à titre expérimental et à la demande des établissements publics de coopération intercommunale ou des collectivités compétents en matière d'habitat » est possible. Donc les élus locaux qui le souhaitent, auront la possibilité de l’instaurer.

Pour Richard Horbette, fondateur de LocService.fr  : « L’encadrement des loyers n’est pas la meilleure réponse aux problèmes des loyers élevés dans les zones tendues. Il ne faut surtout pas décourager les propriétaires bailleurs qui subissent déjà une fiscalité élevée. Ils ont d'ailleurs de plus en plus tendance à s'orienter vers des locations temporaires via des plateformes comme Airbnb pour optimiser leur investissement. Si les prix de l'immobilier continuent d'augmenter, il ne sera tout simplement plus rentable de louer à l'année ou alors à des loyers qui grèvent la solvabilité des locataires. Nous avons besoin aujourd’hui d’une politique d'offre afin de faire baisser les prix de l'immobilier et indirectement les loyers tout en préservant une rentabilité raisonnable. Autre piste : pourquoi ne pas inciter les bailleurs particuliers à louer moins cher en échange de prestations ou de garanties qui sécuriseraient leur investissement ? », propose-t-il

Le carnet numérique du logement : oublié de la loi ELAN ?

Imposé l'article 11 de la loi de Transition énergétique pour la croissance verte (TECV), la loi ELAN devait préciser les modalités de mise en œuvre du carnet numérique du logement. Or celui-ci n’apparaît pas dans le texte de loi.

Pierre Leroy co-fondateur d’EP et du site izigloo.com : « Le carnet numérique du logement ne doit pas être une obligation réglementaire de plus, mais une vraie plateforme d’amélioration de l’expérience client. Aujourd’hui, le marché manque de maturité pour permettre de légiférer. Il faut travailler pour donner réellement envie aux utilisateurs et à tous les acteurs d’améliorer l’information autour du logement, pour donner au carnet tout son sens, en le rendant utile et indispensable.

Le carnet numérique du logement doit être un outil simple d’utilisation, ancré dans la réalité et évolutif pour s’adapter aux usages de l’habitant, or, nous pensons que légiférer à ce stade serait contreproductif », conclut-il.  

Alexandra Boquillon

 

 

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