Jeudi 16 janvier, le gouverneur de la Banque de France M. Christian Noyer, a relancé l'idée de la titrisation des prêts immobiliers, dans une lettre de vœux à l'attention des banquiers. Cette annonce ne va pas réjouir les associations de consommateurs, car elle déboucherait automatiquement sur une hausse des taux d'emprunt. Pour bien comprendre pourquoi et comment, voyons en quoi consiste la titrisation, et quels sont les moyens pour temporiser ses effets négatifs sur le consommateur. Qu'est-ce que la titrisation ? Un rachat de créances La titrisation n'est ni plus ni moins qu'un rachat de créances. Dans le cadre de prêts immobiliers, la banque ou la société de crédit les ayant accordés pourra revendre ses créances à une société financière, qui les achètera en levant des fonds privés. La configuration est donc proche de l'affacturage, à savoir qu'une entreprise peut revendre ses créances à une banque, afin de percevoir des fonds immédiatement. L'argument sur la nécessité de la titrisation des prêts immobiliers Lorsqu'une banque prête à des investisseurs immobiliers et des accédants la propriété, elle se paye donc sur les intérêts perçus. Cependant, le capital prêté est alors indisponible jusqu'à ce qu'il soit entièrement remboursé. Il se peut que la banque ait de meilleurs investissements à faire. Elle serait alors tentée d'emprunter à d'autres banques, en se servant des remboursements des prêts immobiliers qu'elle a accordés, pour rembourser ce nouvel emprunt qui lui servira à investir. Ce schéma a été utilisé pendant longtemps, il a conduit à la plupart des krachs boursiers et notamment à celui des subprimes en 2008. Pour éviter que ce genre de crise systémique ne se reproduise, les accords de Bâle imposent qu'à partir de 2019, les fonds propres des banques représentent 7 % de leurs engagements en « fonds propres durs ». En clair, les banques ne pourront plus emprunter à outrance pour rembourser. Mais cette sécurité aura un inconvénient majeur. Les banques disposeront également de moins de capitaux pour prêter aux entreprises, et donc pour lancer l'économie. D'où l'idée de la titrisation des prêts immobiliers, afin de leur donner du capital. Le mécanisme de la titrisation des prêts immobiliers Admettons qu'une banque ait besoin de capitaux pour d'autres investissements. La banque détermine le nombre de prêts hypothécaires qu'elle pourrait revendre, afin d'obtenir des liquidités. Une fois ce calcul effectué, elle charge un Fonds Commun de Créances de rechercher des investisseurs pour racheter ses crédits immobiliers. Le fonds s'adresse à d'autres fonds, attirés par la certitude de cet investissement. Les défauts de paiement dans le cadre d'emprunts immobiliers sont rares, car il est toujours possible de restructurer la dette, dû à la présence d'un bien immobilier en hypothèque. Le Fonds Commun de Créances émet alors des obligations, qu'il vend aux investisseurs. Le fonds paye la banque avec le fruit de la vente des obligations, et la banque dispose ainsi de capitaux pour investir. Les particuliers ne verront pas la différence car leurs mensualités nous bougeront pas, sauf s'il s'agit d'un taux variable, et encore la variation ne se fera qu'en fonction de l'indice de référence. Du côté des particuliers, rien ne change si ce n'est que les intérêts qu'ils payent vont rémunérer les investisseurs. Bien entendu il s'agit d'une explication largement simplifiée, dans la réalité les mécanismes juridiques et financiers sont bien plus compliqués. La titrisation des prêts immobiliers, coté emprunteur Une hausse probable des taux Le processus de titrisation des prêts immobiliers sous-entend l'intervention d'un Fonds Commun de Créances, et d'investisseurs. Tous ces protagonistes doivent être rémunérés suffisamment pour provoquer leur intervention. Cette nécessité de les rémunérer fait que la somme qui sera remise à la banque ayant titrisé ses créances immobilières, sera inférieure au capital qu'elle aurait récupéré sans titrisation. Pour bien le comprendre, comparons ce principe avec celui de l'affacturage. Une entreprise possède une créance, mais elle a besoin de la somme due immédiatement. Elle remet donc cette créance à une banque, qui la lui rachète pour 90 % de son prix. L'entreprise récoltera donc 90 % des sommes dues, moins les frais, ce qui représente un manque à gagner. Pour anticiper cette perte, il est logique que la banque prenne une certaine marge de sécurité sur les taux des prêts immobiliers qu'elle accorde. Cette logique est bien entendue loin de satisfaire les associations de consommateurs, et les emprunteurs eux-mêmes. À titre d'exemple, le site du journal Le Figaro annonce sur son site que selon un analyste, les titrisations françaises rapporteraient jusqu'à 20 points de moins que les titrisations hollandaises. En cause : la faiblesse des taux de prêt immobilier actuels. Nécessité de temporiser la hausse des taux Le report des risques bancaires sur l'emprunteur n'est pas au goût du jour en France, ni dans l'Union Européenne. D'ores et déjà des spécialistes mettent en avant le fait que beaucoup de facteurs interviennent, et qu'il sera possible de temporiser la hausse des taux. On avance par exemple la mise en place de bonnes pratiques, afin d'éviter que les banques ne profitent de la titrisation des prêts immobiliers pour exagérer la hausse des taux.La première précaution sera de limiter le volume de titrisation. Jusqu'à 25 % de volume maximum Pour l'instant les spécialistes avancent que la titrisation des emprunts immobiliers ne devrait pas concerner plus de 25 % du volume. Le Figaro cite les chiffres de l'agence Moody, qui précise que les opérations de titrisation ne représentent que 4 milliards d'euros en France. Il est évident que la hausse inévitable des taux de prêt immobilier sera d'autant plus marquée que le volume de titrisation sera élevé. De longs débats en perspective À ce stade il est important de préciser que rien n'est encore fait, et que beaucoup d'encre aura coulé avant que la pratique de la titrisation ne soit répandue en France. Car on connaît l'impact des taux de prêt immobilier sur le marché du logement. Lorsque les taux montent, le pouvoir d'achat des accédants à la propriété et investisseurs diminue. Or si ce pouvoir d'achat diminue, c'est non-seulement le secteur de la construction qui souffre, mais également le secteur bancaire lui-même. Il faudra donc beaucoup de prudence pour que la titrisation des prêts immobiliers ne se transforme pas en un chien qui se mord la queue.